l'année dernière, Bernard Giraudy a donné une conférence passionnante sur ces gens de LA FERRIERE qui ont tenté l'aventure en Algérie au début de la colonisation, à partir de 1830. Voici l'essentiel de cette conférence, certes avec quelques retards, mais c'est bien connu, il n'est jamais trop tard pour bien faire.
Ils voulaient devenir « colons
agricoles » en Algérie
Du rêve à la
réalité
Dans la Pays
d’Allevard, il y a une vallée de montagne, la vallée du Haut Bréda, connue
depuis l’an mil pour ses mines de fer. Mais progressivement pendant le XIX°
siècle, ces mines sont fermées : d’abord, les plus difficiles à exploiter,
celles de La Ferrière, puis plus tard, celles de Pinsot et enfin celles proches
d’Allevard. Cette vallée du Haut Bréda qui comptait plus de 2 200 habitants
au début du XIX° siècle, n’en comptait plus que 800 à la fin du siècle.
Par hasard, nous avons
retrouvé des documents parlant de personnes parties en Algérie pour devenir « colons
agricoles ». Nous avons recherché quelles étaient ces personnes et dans
quelles régions d’Algérie elles étaient parties.
Comment pouvait-on devenir « colon agricole » ?
Après la prise d’Alger
en 1830 et le départ du Dey, représentant de l’Empire Ottoman, l’État Français
avait considéré que toutes les terres appartenant à l’empire Ottoman étaient devenues
sa propriété. Il en fût de même d’autres terres appartenant à des confréries en
échange de la liberté de culte. Enfin des terres des tribus qui se révoltaient pouvaient être confisquées.
La France mis en place
progressivement une stratégie de peuplement et de mise en valeur du territoire.
Les Français, et sous certaines réserve, des européens, se virent offrir la
possibilité de devenir « colons agricoles ».
L’armée, puis plus tard
l’administration civile, devait délimiter sur les terres appartenant à l’État
Français des implantations de « villages agricoles » et préparer leur
construction selon des plans précis. La liste de ces villages avec le nombre de
familles pouvant être installée, la surface des terres allouées à chacune et
différentes caractéristiques était publiée chaque année, envoyées dans les
Préfectures et les Mairies de France.
Les personnes qui
souhaitaient devenir colons agricoles faisaient actes de candidatures auprès
des préfectures via les mairies en remplissant un dossier de candidature qui
était examiné en détail : composition de la famille ou des familles,
capitaux disponibles, compétences agricoles, village d’implantation
souhaité. L’instruction du dossier pouvait durer un an ou plus.
Le
« colon » devait s’installer avec sa famille dans les 6 mois, y
demeurer en permanence et remplir un certain nombre d’obligations fixées au
bail provisoire. Quand les obligations étaient remplies, au plus tard dans les
trois ans, le « colon agricole » signait un bail définitif et
devenait ensuite propriétaire.
Progressivement, nous
avons identifié (à ce jour) 95 familles qui avaient demandé une concession
agricole. Nous ne connaissons pas encore toutes les suites réservées à ces
demandes. Huit autres personnes sont parties pour d’autres motifs.
Au total, 324
personnes concernées ont été retrouvées.
Communes
|
Concessions agricoles obtenues
|
Suites non connues à ce jour
|
Demandes refusées
|
Départs pour autres motifs
|
Total
|
|||||
Familles
|
Personnes
|
Familles
|
Personnes
|
Familles
|
Personnes
|
Familles
|
Personnes
|
Familles
|
Personnes
|
|
47
|
173
|
45
|
121
|
3
|
20
|
8
|
10
|
103
|
324
|
|
La Ferrière
|
32
|
126
|
23
|
65
|
3
|
20
|
6
|
8
|
64
|
219
|
Pinsot
|
10
|
30
|
8
|
18
|
0
|
0
|
2
|
2
|
20
|
50
|
Allevard
|
4
|
16
|
8
|
23
|
0
|
0
|
0
|
0
|
12
|
39
|
St Pierre
|
1
|
1
|
5
|
10
|
0
|
0
|
0
|
0
|
6
|
11
|
La Chapelle du Bard
|
0
|
0
|
1
|
5
|
0
|
0
|
0
|
0
|
1
|
5
|
Le Moutaret
|
0
|
0
|
0
|
0
|
0
|
0
|
0
|
0
|
0
|
0
|
La première trace de
présence en Algérie de personnes de la vallée remonte à 1842 : il s’agit
du décès de Jean-Baptiste Raffin-Tholliard, né à Pinsot, à l’hôpital militaire
de Mustapha à l’âge de 22 ans, suite à une dysenterie, probablement pendant son
service en « Afrique ».
En 1853, son frère, Pierre Raffin-Tholliard,
meurt à l’hôpital militaire de Philippeville à l’âge de 29 ans. Signalons que
dans plusieurs demandes d’installations, on trouve des références à un « état
de service en Afrique » du chef de famille. Ce sont donc vraisemblablement
d’anciens militaires rentrés au pays qui ont parlé des possibilités
d’installations.
Puis nous avons
retrouvé les actes de mariage d’un François Raffin-Dugens de Pinsot à Assi
Bounif en août 1852, mais sa jeune épouse meurt un mois plus tard ; il
rentre alors au pays pour se réinstaller à Saint Pierre d’Allevard.
Puis en
1854, Auguste Gavet se voit délivrer la première concession agricole pour
partir avec sa famille, mais suite à une erreur de l’administration,
l’attribution est annulée.
Suivront entre 1854
et 1870, 9 demandes émanant toutes du village de La Ferrière et
ayant comme objectif l’installation comme « colon agricole » dans la
région de Dellys-Rébeval.
Le premier à partir fut Séraphin Jourdan. Né
en 1807, il s’était marié en 1837 avec Françoise Tavel. Fin 1860, il décide de
tenter sa chance en Algérie où il avait fait son service militaire. Une concession
lui fut attribuée à Rébeval situé à 17 km du port de Dellys.
Il part avec 8 personnes : son épouse Françoise Tavel,
ses quatre enfants : Anne (22 ans), Marie Rosalie (20 ans), Pierre (14
ans) et Marie Marguerite (9 ans), une nièce, Marie Euphroisine, et son mari
Séraphin Sadoux, mariés en janvier 1859 et Maxime Rey, un célibataire de 37 ans,
du hameau de La Bourgeat.
Les travaux d’installation - construction d’une maison,
défrichage et mise en exploitation des terres - sont conduits rapidement,
compte tenu du nombre de personnes en âge de participer à ces travaux (8). Dès
le 26 juin 1863, le service des Domaines constate que « le Sieur Jourdan Séraphin a réalisé tous les travaux prévus à
l’acte de concession ». Il devient alors titulaire du bail définitif.
Les deux ainées se marient en Algérie avec des fils de
« colons ». Son épouse Françoise décède le 13 mai 1870 à Rébeval. Puis
un drame se produit le 17 avril 1871 : l’insurrection des tribus kabyles de
la région de Dellys débute par une « nefra » (manifestation de
mécontentement agressive) sur le marché de Rébeval.
En réalité, elle avait pour
but d’effrayer les colons et les faire partir. Dès que le calme fut rétabli,
les notables indigènes vinrent trouver les colons et leur expliquer que des
tribus rebelles commençaient à assaillir les fermes de colonisation proches et
à massacrer les colons.
Les notables les engageaient à partir au plus vite. Les
colons mirent à la hâte sur des voitures leurs affaires les plus précieuses et
partirent pour Dellys, à l’exception de 9 d’entre eux qui voulurent rester pour
défendre le village.
À la fin de l’insurrection, le 2 juin 1871, Pierre Rey et
Pierre Piolle, respectivement garde champêtre et commissaire de police à
Dellys, vont à Rébeval et retrouvent les « restes
mortuaires » des 9 colons. Parmi eux, se trouvaient Séraphin Jourdan
et Maxime Rey.
La paix rétablie, une vingtaine de familles se réinstallent
à Rébeval, dont les trois enfants de Séraphin, sa nièce et son mari. Au début
de l’année suivante, François Rey, 53 ans, un frère de Maxime, lui aussi
célibataire, les rejoint.
Il fallut reconstruire les maisons et installations,
pillées ou incendiées pendant l’insurrection. Les colons furent partiellement
indemnisés. Puis la vie reprit son cours, la famille fit souche à Rébeval puis
à Isserbourg :
·
Anne et son mari Pierre Fallière obtiendront une
concession à Rébeval en 1886.
· Pierre épousera, en février 1872, Rosalie
Alazet, fille d’un colon originaire de l’Ariège, installé au T’Nin, hameau voisin
de Rébeval. Trois enfants naîtront à Rébeval.
·
Marie Marguerite épousera, le 22 mars 1873 Guillaume Lauvergnat, originaire de Paris, âgé de 35 ans, colon à Rébeval. Elle
décédera « en couches » le 30 octobre 1875.
·
Marie Euphrosine et son mari Séraphin Sadoux
ouvriront une épicerie à Rébeval. Mais Séraphin décède le 19/02/1873. Marie-Euphrosine
se remarie en mars 1874 avec Théodore Turc qui obtient une concession sur
Isserbourg.
·
François Rey se mariera, en 1877, à 58 ans, avec
Charlotte Carpentier, veuve Brocard, 57 ans. Ils auront chacun une concession à
Kouanine, commune voisine de Rébeval.
·
Marie Rosalie, mariée avec Jean Lescure
s’installeront avec leurs enfants à Cherchell, sur une concession qu’ils
obtiendront en 1877.
Pendant la guerre de 1870 et les troubles en Kabylie, aucune
demande de concession, émanant de la vallée du Haut Bréda, ne fut enregistrée.
Les demandes reprirent fin 1873. Mais, à une exception près, celle de Régis
Raffin de Pinsot, refusée en 1874 pour insuffisance de ressources, elles
n’émanent que de La Ferrière jusqu’en 1880.
En effet, suite à la perte de
l’Alsace et de la Lorraine, la famille Schneider qui avait vu ses ressources en
minerai sensiblement amputées, fit remettre en exploitation des mines à Pinsot
où la population se stabilisa. Des mines et haut-fourneaux furent relancés à
Allevard et Saint Pierre d’Allevard, générant une augmentation de la
population. Mais aucune exploitation ne reprit à La Ferrière qui continua à se
dépeupler.
Joseph Rey, frère
de Maxime (tué à Rébeval) et de François (venu rejoindre les Jourdan début 1872),
obtient une concession à Isserbourg en octobre 1876, sur laquelle il s’installe
avec son épouse Marie Tavel et leurs 6 enfants.
Malheureusement, il tomba
malade et dut rentrer à La Ferrière quelques mois plus tard, laissant sur place
ses trois aînés pour terminer les travaux prévus au bail provisoire. La force
de travail que représente une famille comptant 6 personnes en âge de travailler
en continu et 2 enfants plus jeunes qui aident, permet, comme pour les Jourdan,
de réaliser l’ensemble des travaux de mise en exploitation assez rapidement.
L’aîné Jean Joseph s’occupera de la concession, le temps
d’avoir le bail définitif début 1879, bail qu’il cédera avant de rentrer lui
aussi à La Ferrière.
Ses deux frères François Hyppolite et Pierre restèrent en
Algérie :
·
le premier se marie en novembre 1880 avec
Clémentine Roy à Blad-Guitoun où il s’installe. Malheureusement, il y décède en
novembre 1880, à l’âge de 25 ans, 10 mois après son mariage.
· le deuxième se marie en 1885 avec Sylvie Godart à
Ben-Choud (3 km de Rébeval) où il décède en mai 1889 à 35 ans, chez son
beau-père.
Mounier Barthélémy
formule sa demande en septembre 1874 pour Kouanine. Il obtient une concession
de 57 ha en mai 1875 et s’y installe avec son épouse et ses deux enfants de 25 et
22 ans. Il obtiendra le bail définitif le 7 juin 1879. Son fils Étienne Joseph
ayant obtenu sa propre concession à Zaatra (proche d’Isserbourg), le bail est
cédé et il rentre à La Ferrière.
Ramus François Maxime
était maire de La Ferrière depuis 1865. Fin 1875, il obtient une concession à
la Zaouïa des Beni Slyem (29 km de Rébeval) pour y installer son fils Adolphe,
alors âgé d’une vingtaine d’années.
Le père et le fils partent, mais, quelques
mois plus tard, le père rentre à La Ferrière car son propre père a eu une
attaque cérébrale et est retombé en enfance. Adolphe se retrouve seul pour
exploiter la concession, ce qu’il n’arrive pas à faire.
Il survit en empruntant
et ne peut rembourser ses créanciers. Il s'adonne à
la boisson. Fin octobre 1878, le
fils est hospitalisé sur instruction de l'administrateur civil, pour une
"bronchite", puis à nouveau le 12 décembre 1878. Il décédera le 04
janvier 1879 à l’hôpital militaire de Dellys.
Ramus François Joseph,
boulanger, puis aubergiste à la Ville et cultivateur, marié avec Marie
Angélique Tavel, avait effectué son service militaire en « Afrique ».
Il prend possession d’une concession à Kouanine le 18 mai 1875 sur laquelle il
devait s’installer avec son épouse, leurs trois enfants et son beau-frère
Joseph Tavel.
La taille des concessions varie de manière importante :
de 15 ha pour la concession de Jourdan à 64 ha pour celle-ci. Cela tient à la
qualité des sols. L’un des pièges dans lesquels de nombreux colons se firent
prendre, notamment avec les concessions de grande taille, a été la nécessité de
bonifier tout ou partie des terres avec des engrais.
Les colons venus avec un trop
petit capital ou pas assez de personnes en mesure de travailler dur, ne
pouvaient obtenir une exploitation rentable et devaient vendre puis partir
chercher du travail dans des villes ou rentrer au pays. Ce fut le cas de François
Joseph qui était venu avec son seul fils aîné au lieu de toutes les personnes
annoncées : épouse, beau-frère et trois enfants en âge de travailler. Ne pouvant
payer ses dettes, le bail est cedé.
Coquand Jean, de
Pinsot, installera en 1883, une concession à Aïn Zaouïa avec son épouse Gavet
Jeannette et leurs enfants Pierre et Henri.
Les deux enfants deviendront
instituteurs, Pierre à Birkhadem près d’Alger où il se mariera en 1898, Henri à
Alger où il se mariera en 1899. Les actes de mariage indiquent que le père
réside à Birkhadem. La concession avait donc été revendue à une date non connue.
Mais toute la famille est restée en Algérie.
Enfin, signalons trois demandes sans suite :
. Tavel Pierre André,
beau-frère de Séraphin Jourdan et oncle par alliance de Pierre Fallière, demande
une concession à Rébeval le 5/12/1880 ou à défaut Takdempt pour être proche de
sa famille.
L’administration lui fait savoir qu’il n’y a pas de possibilité sur
Rébeval et que Takdempt n’est pas encore prêt et qu’il doit reformuler une
demande plus tard. À ce jour, nous n’avons pas trouvé de nouvelle demande.
. Jourdan Léopold, neveu
de Séraphin Jourdan et frère de Marie Euphrosine demanda une concession à
Takdempt, mais elle fut refusée, car il avait mentionné comme profession
« négociant à Grenoble », ce qui ne satisfaisait pas au premier critère
d’éligibilité : être agriculteur.
Chassande-Baroz
Joseph, demanda également une concession dans la région, mais il y eut un refus
pour un motif que nous ne connaissons pas.
Bilan de ces premières tentatives d’installation:
Sur les onze premières demandes émanant de la vallée du Haut
Bréda : 4 ne sont pas acceptés, 7 donnent lieu à une attribution de concession
dont 3 à des chefs de famille ayant « servi en Afrique ». Sur les 7
concessions attribuées, 1 n’a pas été prise après attribution, 4 ont été
revendues, 2 seulement ont été conservées par les preneurs puis leurs enfants.
Sur 31 personnes (hommes, femmes et enfants) parties pour l’Algérie :
·
7 auront des destinées tragiques : 2
assassinats, 5 morts prématurées sans descendance.
·
11 rentreront au pays : 7 suite à problèmes
familiaux ou santé du chef de famille, 4 après revente contrainte des
concessions (échecs).
· 7 resteront en Algérie en exerçant un métier non
agricole (instituteur, épicier, garde champêtre).
· 6 seulement resteront agriculteurs ou conjoints
d’agriculteurs ayant leurs propres concessions,
S’installer durablement en Algérie, comme « colon
agricole », n’était donc pas aussi facile que dans les rêves. Parmi les
nombreuses demandes de concessions ultérieures, le succès aura-t-il été plus
souvent au rendez-vous ? Réponse l’an prochain.
Cet article a été
rédigé avec le concours de l’association GAMT et, plus particulièrement de M.
Charly Guibbaud, son trésorier, né à Rébeval.
Ces recherches sont
effectuées dans le cadre des activités de l’Association du Haut Bréda et des 7
Laux qui publie chaque année une revue sur l’histoire et la vie actuelle de la
Vallée du Haut-Bréda.
L’histoire de cette
émigration vers l’Algérie a déjà fait l’objet de deux publications dans le n°
22 (juillet 2014) et le n°23 (juillet 2015). Il est prévu de publier la suite
dans les numéros des années suivantes.
La liste des familles
qui ont demandé à partir peut être obtenue auprès de :
Bernard Giraudy – Les
Burdins 38580 LA FERRIERE
Mail : giraudy.bernard@wanadoo.fr
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